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On considère généralement qu’il existe trois « stades » dans le développement des systèmes d’identification des mots :
- logographique
- orthographique
- alphabétique
Stade logographique, ou de pré-lecture
Au cours du développement normal, l’enfant commence à reconnaître des symboles, comme les deux arches dorées de la marque McDonalds,
ou le panneau de signalisation sur lequel est inscrit STOP
L’enfant fait cela sans avoir appris quoi que ce soit sur les lettres, les sons, ou sur la lecture.
A ce stade, les mots sont reconnus uniquement sur la base de leur forme globale et de leurs couleurs, et sont traités comme des photos ou des dessins plutôt que comme des mots.
L’enfant n’analyse pas les lettres dans ces mots, et n’établit pas de lien entre ces lettres et leurs sons correspondants.
Il existe deux pré-requis essentiels pour la transition de ce stade logographique vers le stade suivant :
- Le développement de la conscience phonologique, et en particulier de la conscience phonémique
Ceci implique de devenir conscient que les mots parlés peuvent être analysés en unités plus petites, à savoir les syllabes, les unités d’attaque-rime, et, par-dessus tout, les « sons » individuels
« La découverte d’un lien fort entre la conscience phonologique des enfants et leurs progrès dans l’apprentissage de la lecture est l’un des grands succès de la psychologie moderne » (Goswami et Bryant). - La compréhension du système alphabétique
Cela signifie comprendre qu’en français, le système écrit représente les mots parlés plus ou moins au niveau des « sons ».
Par exemple, le mot parlé [ lak ] a trois « sons » et est représenté par les trois « lettres » < l >, < a > et < c >.
Voilà pourquoi la conscience phonémique ou la conscience des « sons », c’est-à-dire la conscience que les mots parlés peuvent être analysés en « sons » individuels, et la constitution de représentations correspondant à ces « sons », sont si importantes pour l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Stade alphabétique menant au développement du processus de décodage
C’est en développant des représentations des phonèmes et en comprenant le principe alphabétique que l’enfant pourra progressivement apprendre à convertir les symboles qui constituent les mots écrits, les graphèmes, en leurs correspondants phonologiques, les phonèmes, pour la lecture ; et vice versa pour l’orthographe.
En développant des représentations des « sons » et en appréhendant le système alphabétique, l’enfant deviendra progressivement capable de convertir les symboles qui constituent les mots écrits, à savoir les « lettres », en leurs « sons » correspondants pour la lecture, et de convertir les « sons » parlés en leur « lettres » correspondantes pour l’orthographe.
Ce processus implique trois étapes :
1.La segmentation du mot en ses « lettres » constitutives, par exemple
< l >, < a >, < c > pour < lac >
< b > et < eau > pour < beau >
< m > et < ain > pour < main >
2.La conversion de chaque lettre en son « son » correspondant, par exemple
< l > → [ l ], < a > → [ a ], < c > → [ k ] pour < lac >
< b > → [ b ], et < eau > → [ o ] pour < beau >
< m > → [ m ], et < ain > → [ in ] pour < main >
3.La fusion des « sons » générés pour former le mot complet, par exemple
[ l ] – [ a ] – [ k ] → < lac >
[ b ] – [ o ] → < beau >
[ m ] – [ in ] →< main >
→ les « sons », les unités élémentaires sous-jacentes aux sons.
Pour que ce processus de conversion se fasse rapidement et efficacement, des connexions multiples complexes doivent se faire dans le cerveau. Ces connexions, qui lient les régions auditives et visuelles du cerveau, constituent le système de décodage. Ce système permet à l’enfant de progressivement lire et orthographier les mots. Si vous ne connaissez pas le grec, tentez de lire ce mot:< kαλησπερα >Vous éprouverez des difficultés si vous ne savez pas comment les « lettres » correspondent aux « sons » en grec. Par exemple, dans cette langue la lettre < ρ > se prononce [ r ]. Ce n’est qu’en connaissant les correspondances entre les « lettres » et les « sons » que l’on peut prononcer ce mot. Ceci sera rendu possible au moyen du système de décodage, qui nous permettra de segmenter le mot en ses « lettres » constitutives, puis de convertir ces « lettres » en leurs « sons » correspondants, et enfin d’assembler les « sons » constitutifs du mot pour prononcer le mot [ kalispéra ], qui signifie « bonsoir ».
Regardez cette animation et écoutez.
Le système de décodage est essentiel au lecteur débutant car il lui permet de lire les nombreux mots nouveaux auxquels il est confronté et qu’il n’a jamais rencontrés auparavant, grâce au processus de segmentation, de conversion et de fusion, de la même manière que lorsque nous avons lu le mot < kαλησπερα >. Il est également utilisé par le lecteur expert pour lire les mots nouveaux.
A ce stade, cependant, l’apprenti-lecteur connecte les « lettres » aux « sons » de manière séquentielle (une par une), sans avoir développé de représentations des mots complets. C’est pourquoi le système de décodage, bien qu’essentiel, est lent et laborieux.
Stade orthographique, menant au développement de l’accès direct:
Au fil du temps, l’enfant va lire les mêmes mots de plus en plus souvent et va développer progressivement des représentations orthographiques complètes et organisées de ces mots, c’est-à-dire des représentations des mots entiersconsistant en des séquences de « lettres » ordonnées d’une certaine manière. Ces représentations vont être stockées dans le répertoire de la région visuelle du cerveau, dans le lexique orthographique. En parallèle, l’enfant va progressivement développer des représentations phonologiques complètes et organisées des mots parlés, c’est-à-dire des représentations complètes des mots comme des séquences de « sons » organisées selon un certain ordre. Ces représentations vont être stockées dans la région auditive, dans le lexique phonologique. Dans ce qui suit, nous pouvons voir les résultats du système d’accès direct pour le mot < lac > au stade orthographique (l’illustration ne fournit pas la représentation phonologique du mot). Voyez et écoutez comment cela fonctionne.Pour illustrer la notion de représentations complètes et organisées, et leur importance, supposons que l’enfant développe progressivement des représentations phonologiques et orthographiques des mots :
angle ongle lac cal
Jusqu’à ce que les représentations de ces mots soient complètes en termes d’identité de leurs « lettres » constitutives, l’enfant peut lire < ongle > lorsqu’il est confronté au mot < angle > car les premières lettres de ces deux mots sont très similaires.
De même, à moins que les représentations orthographiques de ces mots ne soient bien organisées en termes de position relative de leurs « lettres » constitutives, l’enfant peut lire [ lac ] lorsqu’il est confronté à < cal >, ou vice versa, car ces deux mots partagent exactement les mêmes « lettres », bien que celles-ci aient des positions différentes dans les deux mots.
Lorsque l’enfant aura constitué des représentations complètes et organisées de chacun de ces quatre mots, il sera capable de les lire très rapidement et sans effort, autrement dit de manière automatique. En d’autres mots, dès qu’il sera confronté à l’un de ces quatre mots, il activera la représentation orthographique correspondante dans la région visuelle, qui transmettra ensuite l’information à la région auditive détenant la représentation phonologique du mot, ce qui permettra une reconnaissance et une prononciation du mot rapide et exacte.
Le processus de mémorisation progressive des représentations complètes des mots mène au développement du système d’accès direct. Ce système établit des connexions entre les représentations orthographiques et phonologiques des mots au travers du développement de connexions complexes bidirectionnelles entre les régions visuelle et auditive du cerveau.
Dans l’animation suivante, nous pouvons voir comment ce système opère pour l’accès direct au mot < lac >.
Ce système caractérise la lecture chez le lecteur expert, qui fait largement fi du système de décodage excepté pour les mots nouveaux ou très rares.