Pourquoi est-ce tellement difficile pour les enfants dyslexiques ?

Les chercheurs s’accordent sur le fait que la majorité des dyslexiques présentent un déficit phonologique de base. Ces apprenants ont des difficultés majeures à développer la conscience phonologique, et particulièrement à développer et à manipuler les représentations des phonèmes.

En d’autres mots, les enfants dyslexiques ont des difficultés à apprendre à analyser les mots parlés en « sons », et ensuite à constituer des représentations exactes et précises de ces « sons » dans le cerveau.

Par conséquent, ils vont avoir des difficultés à associer les « lettres » des mots écrits à leurs « sons » correspondants de manière à établir le système de décodage pour la conversion des mots écrits en mots parlés. Par conséquent, ceci va empêcher le développement de représentations phonologiques et orthographiques complètes et organisées des mots, qui sont nécessaires à la mise en place du système d’accès direct.

Par conséquent, ils montreront plus de faiblesses que les enfants non dyslexiques dans le développement de mécanismes automatiques d’identification des mots, rapides et efficaces, et donc à comprendre les phrases et les textes rapidement et adéquatement.

Pourquoi la majorité des enfants dyslexiques ont-ils des difficultés à développer des représentations précises des « sons » de leur(s) langue(s) ?

Comme mentionné précédemment, l’identification des sons dans les mots parlés, et leur association aux « lettres » pour la lecture et l’écriture, dépasse largement la simple perception. Elle requiert le développement et l’utilisation de représentations abstraites qui nous permettront de reconnaître ces sons en dépit de leurs petites variations (en termes de voix, d’accent, de contexte, etc.), et des lettres en dépit de leurs variations (en termes de police, de style, de hauteur, etc.).

Nous avons mentionné que la parole varie selon la voix, l’accent ou le débit du locuteur, car chaque mot varie légèrement selon le contexte dans lequel il est prononcé. Mais il existe d’autres sources de variabilité de la parole, qui dépendent des propriétés intrinsèques du tractus vocal humain.

Lorsque nous prononçons un mot ou une phrase, nous expulsons un flot d’air continu au travers de notre gorge et de notre bouche. Pour chaque son du mot ou de la phrase, nos articulateurs (lèvres, dents, langue) vont prendre une position spécifique, et nos cordes vocales vont vibrer ou non. D’un son au suivant, chacun des articulateurs va légèrement changer de position, sans que le flux d’air dans notre gorge et notre bouche ne soit interrompu. En d’autres mots, chaque son que nous prononçons chevauche partiellement le son précédent et le son suivant.

Ainsi, contrairement à nos impressions, les mots parlés ne sont pas des successions de sons articulés les uns après les autres et séparés par du silence, mais des amalgames de sons qui sont articulés ensemble et qui se chevauchent plus ou moins. Ce phénomène est appelé la coarticulation.

Pour vous représenter ce phénomène, ouvrez vos mains, paumes vers vous, et enlacez vos doigts comme pour former un panier. Les sons des mots arrivent de cette manière dans nos oreilles et c’est nous qui les « séparons » inconsciemment de manière à identifier chacun d’entre eux.

Un linguiste célèbre a utilisé l’analogie d’une omelette, comparant les mots parlés à des œufs brouillés. Les œufs originaux qui constituent l’omelette, c’est-à-dire les « sons » qui constituent les mots, ne sont pas produits par la bouche du locuteur mais sont reconstitués dans le cerveau de l’entendant.

Ceci se produit inconsciemment et extrêmement rapidement au travers des connexions entre les informations acoustiques provenant des oreilles et les représentations internes des sons du langage. Ainsi, le flot continu des informations auditives comporte une succession de « listes » de caractéristiques acoustiques, dont chacune active la « liste » de caractéristiques correspondante dans le cerveau, ou la représentation du son.

Ainsi, même si ceci contredit nos impressions, les « sons » n’existent pas physiquement dans la parole. Ils existent dans la tête de l’entendant comme représentations abstraites des sons de la parole.

Les recherches suggèrent que beaucoup d’enfants dyslexiques seraient hypersensibles à la variabilité de la parole, ce qui les empêcherait de constituer des représentations suffisamment abstraites et précises des « sons » de la parole. Certains chercheurs suggèrent que beaucoup d’enfants dyslexiques ne pourraient développer que des représentations approximatives des sons de leur langue. En d’autres mots, ils ne semblent pas capables d’ignorer la variabilité de manière à encoder des entités généralisées pour représenter les sons.

Si les « sons » n’existent pas physiquement dans la parole, logiquement, il ne devrait pas être aisé de les compter. Pour constater combien ceci peut être difficile même pour un bon lecteur comme vous, essayez de réaliser notre activité suivante.

ACTIVITE 2

Selon vous, combien de phonèmes comportent les mots suivants :

  • < lac >
  • < calcul >
  • < chanter >
  • < humain >
  • < maintenant >
  • < calepin >
  • < boxer >
  • < lac >
  • < calcul >
  • < chanter >
  • < humain >
  • < maintenant >
  • < calepin >
  • < boxer >
  • 3
  • 6
  • 4
  • 3
  • 5 ou 6
  • 5
  • 5

Les mots < lac > et < calcul > ne vous ont probablement pas posé de problèmes. Pour < chanter > et < humain >, vous avez peut-être compté plus de phonèmes. Pour < calepin >, tout comme pour < maintenant > vous avez peut-être compté 6, alors que le premier est toujours prononcé [ kalpin ] mais le second peut être prononcé [ maintnan ] ou [ maintenan ]. Enfin, pour « boxer », vous avez certainement répondu « 4 » ([ b ] [ o ] [ x ] [ é ]), alors que la lettre ‘x’ représente deux sons, [ k ] et [ s ].

Cet exercice visait à montrer combien les sons des mots sont ambigus, c’est pourquoi nous nous basons sur la manière dont ils sont représentés, c’est-à-dire sur leur orthographe, pour les analyser en sons.

Il existe un instrument qui mesure les vibrations produites par le flot d’air expulsé au travers du tractus vocal, et qui fournit des « transcriptions » graphiques de ce qui est prononcé. Celles-ci sont appelées spectrogrammes.

Par exemple, le spectrogramme ci-dessous représente la voyelle [ a ] prononcée très brièvement de manière isolée. L’abscisse représente les millièmes de seconde et l’ordonnée représente les modifications de fréquence. L’air va passer au travers du tractus vocal et va faire vibrer les cordes vocales, puis au travers de la bouche dans laquelle les articulateurs (lèvres, dents, langue) vont prendre une position spécifique. Ceci va résulter en une vibration particulière de l’air, transcrite par une forme spécifique de l’onde vocale sur le spectrogramme.

picture of spectogram

Le spectrogramme suivant transcrit la vibration de l’air induit par la prononciation du même mot, « Balzac », six fois dans six phrases différentes par le même locuteur au cours de la même conférence. Le premier exemple du mot est entouré en orange.

picture of spectogram

Vous pouvez observer qu’il n’y a pas de pause, c’est-à-dire pas de séquence de trait plat entre les sons constitutifs de chaque répétition du mot, excepté entre le [ a ] et le [ k ] final, que vous pouvez apprécier le mieux dans le troisième exemple sous la flèche orange. Notez cependant que ce silence n’est pas perçu comme tel mais comme faisant partie du son [ k ]. (Lorsque nous prononçons les sons [ p ], [ t ] ou [ k ], nous prononçons un silence suivi d’une explosion, c’est-à-dire que nous accumulons de l’air dans la bouche que nous ouvrons soudainement pour relâcher cet air – le silence fait donc partie du « son », et s’il est supprimé, le son n’est pas reconnu.)

Dans tous les cas, il est impossible de déterminer quand un son se termine et quand le suivant commence, car le début de chaque son chevauche partiellement la fin du son précédent, et que sa fin chevauche partiellement le début du son suivant. Ceci correspond au phénomène de coarticulation.

De plus, vous pouvez observer qu’il existe de grandes variations au travers des six exemplaires du mot, même s’il a été prononcé par la même personne au cours de la même conférence. Ceci résulte du fait que les caractéristiques acoustiques du mot varient selon le contexte. Par exemple, il est probable que le troisième et le quatrième exemplaire commençaient une nouvelle phrase, car, comme vous pouvez le voir, le début de ces deux exemplaires a été prononcé avec plus d’énergie (avec une plus grande amplitude) que les autres.

En bref, le même mot n’est jamais prononcé deux fois de la même manière, même par la même personne. Il existe encore d’autres variations entre les différents exemplaires du même « son » dans des mots différents. Par exemple, le son [ b ] n’est pas prononcé exactement de la même manière dans [ battre ] et dans [ cible ] car les sons qui précèdent et suivent ce son le recouvrent partiellement.

Nous apprenons à ignorer ces variations car elles n’ont pas d’importance pour la signification. On les appelle variations allophoniques et le phénomène lui-même est appelé allophonie.

Comme nous l’avons dit, certains enfants dyslexiques sont hypersensibles à la coarticulation et aux variations allophoniques. Par conséquent, ils pourraient construire des représentations imprécises des « sons » de la langue.

(Voir par exemple l’étude de Serniclaes, Van Heghe, Mousty, Carré & Sprenger-Charolles, et de Sprenger-Charolles et Serniclaes – Les références complètes sont citées dans les Sources à la fin de cette Section).

Il est donc clair que les « sons » isolés n’existent pas physiquement dans les mots parlés que nous entendons.

Ce que l’on entend sont des mélanges de sons qui se chevauchent, qui ne sont pas séparés par des pauses, et qui présentent des caractéristiques acoustiques différentes dans différents mots, voire dans les répétitions d’un même mot. En dépit de cela, nous avons l’impression d’entendre des unités stables qui se succèdent et sont séparées par des pauses.

Cette impression vient du fait qu’à l’intérieur de notre cerveau, nous traitons inconsciemment et instantanément les amalgames de sons qui parviennent à nos oreilles de manière à reconstituer les séquences de « sons » auxquelles ils correspondent. Ceci est possible car nous connectons les informations acoustiques aux représentations internes abstraites des sons de la langue.

Par conséquent, les « sons » doivent être enseignés explicitement et systématiquement, en particulier aux enfants dyslexiques qui ont des difficultés à construire des représentations abstraites précises et correctes des sons de la langue.

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