Principes d’enseignement de la lecture et de l’orthographe aux élèves dyslexiques
Plaidoyer pour les méthodes phoniques
Depuis des décennies, des controverses pédagogiques opposent les défenseurs des méthodes d’enseignement de la lecture, de l’orthographe et de la composition dites « globales » aux défenseurs des méthodes dites « phoniques » ou « analytiques ».
Les nombreuses recherches scientifiques examinant l’efficacité de ces méthodes montrent sans conteste que les méthodes phoniques qui combinent
- – l’enseignement explicite de la conscience phonémique, et
- – l’apprentissage du principe alphabétique, au travers de l’enseignement systématique des correspondances entre « lettres » et « sons » ou graphèmes – phonèmes
sont de loin les méthodes les plus appropriées pour les enfants dyslexiques, mais aussi les meilleures méthodes pour tous les enfants dans les premières étapes de l’apprentissage de la lecture et de l’orthographe.
National Reading Panel, 2000 – NICHHD, US – Ehri et al. (en anglais)
Rose report, 2009 – UK – Jim Rose (en anglais)
INSERM report, 2008 (seventh publication) – France – Ramus et al.
Vous pouvez penser que l’enseignement des correspondances « lettre » – « son » s’oppose au but de la lecture, qui est la compréhension. Au contraire, c’est le meilleur moyen de parvenir à ce but.
D’emblée, une mise au point s’impose : contrairement à certaines idées répandues sur les méthodes phoniques, l’enseignement systématique des correspondances graphème-phonème n’est pas nécessairement long, ennuyeux, rébarbatif et opposé au but même de la lecture qui est l’accès au sens ; au contraire, il est le moyen le plus sûr et le plus facile d’accéder à ce but.
Même avec quelques correspondances, vous pouvez composer une longue phrase pleine de sens. Par exemple, avec les seuls graphèmes < b >, < a >, < c >, < l >, < s >, vous pouvez déjà apprendre aux enfants à lire < bac >, < lac >, < sac >, < cas >, < bal >, < las > et < bas >. Trouvez-vous que ces mots disparates n’ont pas de sens ? Alors donnez-leur un sens (ex. « près du lac, il y a un bac avec un sac, et dans le sac il y a des souliers et des bas pour aller au bal. Dans ce cas j’y vais, même si je suis las »), ou mieux, demandez à chaque enfant d’inventer une phrase dans laquelle il insère le plus possible de mots appris.
Ajoutez seulement un graphème de plus le lendemain, par exemple < o >, et vous pouvez enseigner au moins cinq nouveaux mots (< bol >, < sol >, < col >, < boa >, < Laos >). Avec ces 12 mots et un peu d’imagination, vous pouvez déjà composer une petite histoire passionnante.
L’importance des approches multisensorielles
Comme nous l’avons mentionné, les apprenants dyslexiques ont parfois de grandes difficultés à constituer des représentations des « sons » ou phonèmes et à associer ces représentations aux unités écrites qui leur correspondent, les « lettres » ou graphèmes. Ainsi, la mise en place du système de décodage, et ensuite du système d’accès direct, sont difficile.
Dans les années 30 déjà, le Dr Samuel Orton avait remarqué que les apprenants dyslexiques éprouvaient de grandes difficultés à apprendre à lire et à écrire selon les méthodes d’enseignement « traditionnelles » des relations entre le langage oral et le langage écrit. Partant de l’idée que certaines connexions cérébrales (notamment entre les aires visuelles et les aires auditives) pourraient être moins fortes chez les dyslexiques que chez les non-dyslexiques, il voulut mettre sur pied un système d’enseignement utilisant toutes les aires associatives du cerveau. Il chargea alors Anna Gillingham et une équipe d’enseignants expérimentés de concevoir une nouvelle manière d’enseigner la structure phonémique du langage écrit aux personnes dyslexiques.
C’est de cette approche, appelée méthode Orton-Gillingham, que sont dérivées les méthodes phoniques multisensorielles d’enseignement.
Ces méthodes sont les méthodes d’enseignement les plus efficaces pour les élèves dyslexiques, et qui ne peuvent qu’être bénéfiques pour tous les élèves de la classe.
Que sont les méthodes multisensorielles ?
En effet, schématiquement, ces méthodes établissent une association étroite et simultanée entre ce que l’apprenant :Lorsque vous enseignez à des élèves dyslexiques, vous devez essayer d’impliquer ces quatre modalités aussi souvent que possible, au travers de tous les domaines d’enseignement.
Ces connexions, illustrées ci-dessous, facilitent la mémorisation et le renforcement des connaissances.
Veuillez écouter l’extrait d’interview de Steve Chinn, spécialiste en dyslexie et ex-directeur d’une école spécialisée, concernant la notion d’apprentissage multi-sensoriel, et observer les quelques outils présentés dans ce clip vidéo.
Accéder au film, « La dyslexie – Comment tresser une structure d’accompagnement solide ? »
Caractéristiques des méthodes multisensorielles
- structurées et séquentielles : la séquence progresse de concepts simples très fréquents vers des concepts plus complexes et moins fréquents (ex. on apprend « t » avant « euil »);
- cumulatives : chaque nouvelle étape doit découler des étapes précédentes ;
- centrées sur l’analyse phonologique : l’apprenant doit acquérir une connaissance approfondie des unités phonologiques (syllabes, unités d’attaque-rime, phonèmes) et doit pouvoir décomposer les mots parlés en ces unités pour apprendre les correspondances entre les « lettres » et les « sons » ainsi que pour apprendre à lire et à orthographier ;
- approfondies : chaque étape du programme doit être complètement maîtrisée et entraînée de diverses manières avant que l’apprenant ne passe à l’étape suivante. Il s’agit de la notion de « sur-apprentissage » (“overlearning”) qui est essentielle dans l’enseignement aux élèves dyslexiques (cette notion sera illustrée plus loin);
- développant la mémoire : La nature structurée et multisensorielle du programme aide la rétention et le rappel : des aide-mémoire concrets doivent être utilisés, comme des cartes de lecture et d’orthographe (décrites plus loin), des mnémoniques (ex. pour retenir l’accent dans < abîme > mais pas dans < cime > : « Le chapeau de la cime est tombé dans l’abîme »), etc. ;
- métacognitives : l’enseignant doit encourager la conscience métacognitive de l’apprenant, c’est-à-dire l’encourager à réfléchir sur la manière dont il apprend les choses, de telle manière à ce qu’il développe une conscience explicite des stratégies qui lui permettent d’apprendre le plus efficacement. Par exemple, les indices appropriés fournis par l’enseignant induisent un apprentissage actif et encouragent l’apprenant à chercher des récurrences (ex. < bain >, < pain >, < main >) et à découvrir de nouvelles informations (par analogie, apprendre les mots plus rares < vain >, < gain >, < nain >).
Par ailleurs, l’élève doit apprendre comment lier de nouveaux concepts à ses connaissances précédentes et comment développer des stratégies pour approcher une nouvelle tâche, de telle manière qu’il utilise toutes ses ressources efficacement (ex. lors de la lecture d’un texte, s’arrêter régulièrement et se poser des questions quant aux liens avec ses connaissances existantes).
Enfin, l’élève doit apprendre à utiliser des techniques d’autovérification de ses propres connaissances (ex. en lisant un texte, s’arrêter régulièrement et se demander « ai-je bien compris ce passage ?, « à quelle question ce paragraphe répond-il ? », etc.) ; - diagnostiques : pour être efficace l’enseignant devrait continuellement adapter le rythme et le style de son enseignement afin de respecter les besoins et les habiletés de chacun des élèves.
Etapes à suivre pour enseigner au moyen des méthodes phoniques multisensorielles
- on commence par enseigner la conscience phonologique et phonémique ;
- simultanément, on enseigne systématiquement les correspondances graphème-phonème de manière séquentielle :
- – en commençant par celles à lettre unique (ex. < b > ↔ [ b ] )
- – puis celles à deux lettres (ex. < au > ↔ [ o ], < ch > ↔ [ ch ] )
- – et enfin celles qui sont plus complexes (ex. < ille > ↔ [ i ], < oeu > ↔ [ e ] ) ;
- par ailleurs, on enseigne les diverses possibilités de lire les graphèmes et d’écrire les phonèmes :
- – en commençant par les associations les plus fréquentes (ex. le phonème [ in ] s’écrit généralement < in >)
- – pour passer ensuite aux associations moins fréquentes (ex. pour [ in ], < ain >, puis < ein >, puis < un > etc.) ;
- on enseigne également les contraintes positionnelles pour la lecture, par exemple :
- < c > et < g > se prononcent respectivement [ s ] et [ j ] devant :
- – < e > (< cela >, < gel >)
- – < i > (< cité >, < givre >)
- – < y > (< cygne >, < gymnastique >)
- mais se prononcent respectivement [ k ] et [ g ] devant les autres voyelles :
- – < a > (< cas >, < galet >)
- – < o > (< colle >, < gorille >)
- – < u > (< cube >, < guitare >)
- le < n > de < an >, de < in >, et de < on > devient < m > devant :
- – < p > (ex. < lampe >, < grimper >, < pompier >)
- – < b > (ex. < jambe >, < timbre >, < tomber >)
- < c > et < g > se prononcent respectivement [ s ] et [ j ] devant :
- on enseigne aussi les régularités positionnelles pour l’orthographe :
- – toujours en partant des associations les plus fréquentes (ex. [ o ] s’écrit généralement < eau > en fin de mot mais < au > au milieu des mots)
- – pour ensuite aborder les associations plus rares (ex. pour [ o ], < o >, < ô >, etc.)
- enfin, on enseigne progressivement les éléments grecs et latins, les préfixes et les suffixes:
- – aussi en partant des combinaisons simples qui n’altèrent pas le mot de base (ex. sale – salement)
- – pour ensuite aborder les combinaisons plus complexes (ex. puissant – puissamment).